Lorsque j'entends dire qu'Yves-Saint-Laurent a transféré le pouvoir aux femmes, en inventant le smoking féminin, je pense toujours qu'on oublie tout un héritage porté par des femmes, bien avant lui. Grand couturier, en phase avec sa génération, en pleine libération sexuelle et euphorie d'après-guerre, il apporte certes un côté ultra-sexy à cet emprunt au vestiaire homme, fait poser des femmes superbes longilignes, portant la veste à même la peau. Une esthétique qu'on retrouve encore dans le Saint-Laurent d'aujourd'hui. 

Pourquoi ne pas rappeler qu'avant Saint-Laurent, ou même avant Chanel qui va elle aussi "libérer la femme" et puiser son inspiration dans les codes du vestiaire masculin (le tweed, les vestes de chasse, les pantalons en drap de laine), il y a George Sand. Certes, elle n'était pas créatrice de mode et n'avait pas pour vocation d'habiller les femmes...

Aurore Dupin, future George Sand, le fait quant à elle pour des raisons à la fois pratique et politique. Pratique parce que la voilà qui débarque dans un Paris en guerre, ses enfants sous le bras, quittant son ennuyeux époux laissé en province pour écrire librement et vivre sa vie. Très vite les robes encombrantes et un peu tartignolles de l'époque romantique la gênent, l'empêchant de parcourir les rues pour visiter les éditeurs, les titres de presse.

C'est qu'elle doit gagner sa vie, avec sa plume, et une femme emberlificotée dans ses jupons, la taille contrainte et les anglaises bien lissées n'a pas trop sa place dans les rédactions. Qui plus est, elle fait attention à ses finances : les robes sont coûteuses, les vêtements d'homme bien plus abordables. 

C'est ainsi qu'Aurore Dupin va devenir George Sand, habillée en pantalon, gilet et chemise d'homme, fréquentant les salons masculins, adoptant ce pseudo qui. lui convient.

George Sand. Trop oubliée, pas assez célébrée. Peut-être parce que dans un monde où règne l'image, l'iconographie d'elle est trop rare car elle n'aimait pas poser, être représentée, idolâtrée. Il y a très peu de portraits, très peu de photos. George Sand n'était pas folle de son image et loin d'être coquette. Peut-être se méfiait-elle aussi d'être trop objectivée, représentée et réduite à un statut de muse ou icône de séduction.

C'est donc une femme qui transforme les codes sociaux ô combien rigides du vestiaire et ça c'est moderne et ça pose la question du genre et de ses attributs sociaux bien avant l'heure. 

C'est donc il y a près de deux siècles une femme qui va collectionner les conquêtes parmi les hommes les plus talentueux de sa génération : écrivains, musiciens, éditeurs absolument pas comme une prédatrice ou une femme fatale, mais comme une amoureuse passionnée, plongeant dans une grande complicité intellectuelle et créatrice. Et ça c'est moderne, c'est même intemporel. 

C'est une femme qui prend fait et cause pour des sujets politiques, avec brio, usant de son influence et de son talent d'autrice, à tel point que le grand Victor Hugo, peu modeste et sûr de son talent la reconnait comme une grande de sa génération. 


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